Deux enfants du demi-siècle de Charles Nemes : coup de cœur pour une claque de vie sur quarante ans

Charles Nemes
Paru aux éditions Hervé Chopin en janvier 2017
208 pages

C’est un roman sur lequel je ne me serais certainement pas arrêtée si je n’avais pas eu la chance de le lire en avant-première pour un petit déjeuner de lecteurs dans ma librairie habituelle. 
Retour sur une découverte d’auteur et de maison d’édition.


« Toussaint perdit Thérèse par défaut d’ardeur, puis de courage, enfin de sentiment. Il découvrit les limites de la passion enfantine ; ils ne s’aimaient pas autant qu’ils le juraient. Ils avaient été l’un pour l’autre le premier, l’initiatrice, le découvreur, l’inespérée. Ils n’étaient que gauches, inéduqués et ne concevaient le monde qu’à travers leurs regards posés l’un sur l’autre. Passé les larmes éternelles et les tentations de suicide, ils avaient accepté de se manquer, de souffrir moins, de scruter enfin l’horizon. »

Toussaint et Thérèse ont quinze ans lorsqu’ils tombent amoureux et s’offrent l’un à l’autre. Mais une relation amoureuse entre un fils de famille bourgeoise et catholique et la fille d’un rabbin n’est pas vue d’un bon œil par les familles respectives dans cette France d’après-guerre. Par la force des choses, les deux tourtereaux vont être séparés l’un de l’autre.

Thérèse écoutera, un temps durant, les conseils de son père en épousant un juif pratiquant, puis finira par tout plaquer, s’éloigner de toute forme de religion, pour démarrer une nouvelle vie et donner naissance à un fils inattendu. Inattendu comme son destin…
Quant à Toussaint, il va fuir le cocon familial pour se plonger dans sa passion des livres en devenant correcteur pour l’édition, épousé une femme, élevé deux enfants puis divorcé. Car dans ces époques en plein chambardement quels sont les amours qui durent encore toute une vie ?
Toussaint et Thérèse vivront ainsi leur propre vie, avec toujours en eux le souvenir de l’autre et le goût amer d’une histoire inachevée. 


Mais lorsqu’à l’aube de sa retraite Toussaint reçoit un courrier de l’administration pour préparer celle-ci, le passé va refaire surface et avec lui Thérèse. Le roman démarre d'ailleurs à la réception de cette lettre.
Et si la vie leur donnait une seconde chance ? Peut-on recommencer là où tout s’est arrêté quarante ans auparavant ?

Charles Nemes, dans ce roman à deux voix, nous embarque à travers quarante ans d’histoire, de vie, de transformation. Dans ce monde qui se reconstruit après la seconde guerre mondiale où les générations suivant celle des parents s’émancipent, se libèrent du poids de l’Histoire, jusqu’à manger du jambon (oui et pas n’importe lequel, celui cuit au torchon svp !)
Et c’est là l’une des forces de ce roman, si ce n’est LA force de ce roman, c’est cette faculté qu’à l’auteur à mêler les changements sociaux à l’intime de la vie des personnages centraux. Il décortique avec une précision étonnante les mutations d’une époque, l’évolution des pensées, la montée de la fraction identitaire et de l’intégrisme religieux mais aussi la perte des êtres chers, la maladresse de l’être humain permettant ainsi au lecteur de venir s’intégrer en filigrane au cœur de l’histoire. Tout cela peint sur une toile légère composée de beaucoup de fantaisie qui au fil des pages se fait de plus en plus lourde et sombre comme pour appuyer le poids de notre société actuelle. 


Quant à la fin, que bien-sûr je ne vous dévoilerai pas, elle est inattendue, surprenante, détonnante. Elle est digne d’un « The end » cinématographique mais rien d'étonnant lorsque l’on sait que Charles Nemes est un réalisateur du tragique et du burlesque. 

Entre mélancolie, humanité et constat par parfois glaçant, Charles Nemes nous emporte dans un tourbillon de rire, de gravité et de sentiments. Et si je devais le rapprocher d’un autre roman ce serait probablement celui de François Roux avec Tout ce dont on rêvait (dont vous pouvez retrouver ma chronique ici), ces deux-là sont presque complémentaires. Alors évidemment, c’est un roman que je vous conseille chaleureusement tant il est riche malgré ses deux cent pages.


Commentaires

  1. Tu m'as convaincue avec ta chronique ! J'adore les récits qui mêlent les histoires intimes à l'Histoire pour montrer l'influence de cette-dernière. Je note le titre :)

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    1. J'aime beaucoup aussi parce que ce n'est pas le tout de décrire une génération, il faut aussi analyser même de façon romanesque le comment, parfois le pourquoi et le ensuite. Et je trouve que Charles Nemes le fait très bien.
      Tu me diras si tu le lis :)

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  2. Je le note.. C'est vrai que ta chronique donne envie de le découvrir. Faut pas trop que je me balade sur ton blog, ma carte bleue risque de devenir ...rouge ! ��

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  3. Héhé j'ai le même problème, mais il n'y a pas de mal à se faire du bien :p

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