Atelier d'écriture #243 de Bric à Book | Baignade non surveillée

Chaque semaine, Leiloona du blog Bric à Book organise un atelier d'écriture. Le principe : à partir d'une photo, sélectionnée une semaine à l'avance, proposer un texte au ton et genre de notre choix. De quoi éveiller notre imagination :-)
© Leiloona

Baignade non surveillée

Juillet 1996, je nous revois enfants courir sur le sable fin, innocentes âmes défiant l’immensité de ce bleu azur. Je sens encore l’odeur des algues échoués sur le rivage. Ce rivage où tu criais « attrapes-moi si tu peux » quand les adultes criaient « ne vous éloignez pas trop ». Le drapeau était rouge, la baignade non surveillée.

Chaque année, nous revenions sur cette plage blanche. Alors que nos corps adolescents devenaient semblables à celui de l’adulte, cette mer, elle, restait inchangée, fidèle à elle-même, immense comme au premier jour. Nous partagions désormais plus qu’un seau et une pelle, nous partagions nos doutes, nos peines de cœurs adolescentes. Je t’écoutais attentivement, une pointe de jalousie lorsque tu me parlais d’elles.

Comme un rituel, nous nous retrouvions après le dîner au même endroit, près du drapeau et y restions des heures à admirer le coucher du soleil puis le ciel étoilé. Ma tête contre ton épaule. Respirant ce parfum poivré que tu portais, comme pour jouer l’homme avant l’heure. 
- « Un bain de minuit Lisa ? Cap ou pas cap ? 
- Cap » 
J’aurai fait n’importe quoi pour qu’enfin tu me voies plus que comme une simple amie.
Tu as couru comme un fou pour rejoindre le bord, ivre de vie, de liberté. Comme une idiote j’étais en sous-vêtement devant toi, les joues roses de gêne. Tu m’as prise par la taille, et tu as dansé, dansé autour de moi, ivre de vie, et tu as couru dans la mer. Ivre tout court, à tel point que je t’ai perdu de vue.

Bien des années se sont écoulées durant lesquelles je suis revenue ici, sans toi. J’ai laissé voguer mon âme en peine regardant la mer droit dans les yeux. C’est tout ce qu’il me restait de toi, je la prenais pour témoin de mon désarroi. Elle était la seule à pouvoir me faire revivre nos rires d’autrefois, à pouvoir me rendre de petits bouts de toi.

Puis la vie a passé, mais je n’ai jamais guérie de ton absence. L’ivresse de la vie a disparu avec ton corps. 

Aujourd’hui, mes pieds humides laissent des traces dans le sable. Je suis revenue pour toi. Je veux sentir de nouveau l’odeur des algues et ton parfum poivré, je veux sentir le sable chaud réchauffer mes pieds. Je veux sentir le vent caresser ma peau, je veux des sensations, me sentir ivre de liberté.
Le drapeau est rouge, la baignade non surveillée. Aujourd’hui, pour la toute dernière fois, je viens m’imprégner de toi et laisser couler mes larmes salées dans la mer pour effacer enfin ton absence. Je ne veux plus rien entendre du monde, je ne veux qu’écouter la houle et ta voix raisonner en moi. Attendre enfin que l’infini emporte ma douleur. 

Commentaires

  1. Un très joli texte que tu nous livres Amandine. Sensible et pudique.
    J'aime les textes où on traite de l'absence.
    J'ai pris bcp de plaisir à te lire.

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    1. Merci Virginie, j'ai un penchant aussi pour la mélancolie et l'absence.

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  2. Quelle tristesse, quel souvenir douloureux ... J'espère qu'elle trouvera au moins l'apaisement et plus tard un peu le goût de se laisser revivre ... Joli texte.

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    1. On fait son deuil mais on n'oublie jamais un premier amour.
      Merci Manue de m'avoir lu :)

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  3. joli texte tout en douceur...

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    1. Merci Le Mexicain Jaune, il me paraissait essentiel de mettre de la douceur dans la souffrance et l'absence.

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  4. Un texte plein de tristesse, de nostalgie et très joliment écrit.

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  5. Le premier reflexe c'est de se dire : quelle façon stupide de mourir, comme s'il y en avait d'intelligente .....Mais c'est un tel gachis de charme et de vitalité ce tout jeune homme qui n'aura pas l'occasion de grandir ....Je trouve que tu as raison et qu'il faut que ses larmes coulent une derniere fois dans toute cette eau salée si elle veut déposer le poids de ce deuil qui la retient pour avancer.....C'est un joli texte triste et harmonieux .

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    1. Effectivement je ne pense pas qu'il y ait de façon intelligente de perdre la vie. Mais c'est aussi ce que j'ai voulu faire ressentir au lecteur : la perte d'un être qui avait pourtant toute la vie devant lui et le poids de l'absence.
      Merci Bénédicte. Ton commentaire me touche.

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  6. Un bien joli texte où se mêlent tristesse et douceur et que j’ai lu avec beaucoup de plaisir.
    Jos

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  7. Une trés agréable moment à te lire. Merci à toi pour ce très joli texte. Il est triste mais inexplicablement plein d espoir tant il y a d amour qui s en dégage.J'ai beaucoup aimé

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    1. Merci Valérie, ça me va droit au cœur car j'ai vraiment eu envie qu'on ressente l'amour dans la tristesse et inversement.

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  8. Un moment très agréable à te lire. Merci pour ce joli texte.Il est triste mais inexplicablement plein d espoir tant il y a d amour qui s en dégage. J'aime beaucoup.

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  9. Ton texte m'a profondément touchée. Je comprends ces larmes au bout d'un certain temps... souvent elles peuvent aussi sortir sans crier gare, à un moment inattendu... Mais si elles sortent c'est bon signe pour elle pour un avenir qu'on lui souhaite plus serein... même si le souvenir et l'absence seront toujours là. Bravo pour ton texte, Nady

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  10. Merci Nady, ton commentaire me va droit au cœur !

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