Atelier d'écriture #240 de Bric à Book | Terre promise
Chaque semaine, Leiloona du blog Bric à Book organise un atelier d'écriture. Le principe : à partir d'une photo, sélectionnée une semaine à l'avance, proposer un texte au ton et genre de notre choix. De quoi éveiller notre imagination :-)
© Leiloona |
Un long périple m’attend, j’ai peur, j’ai froid, mon corps tremble. La faim me tiraille, je suis à bout.
J’ai quitté mon pays, j’ai quitté ma famille. Si l’horreur est humaine, elle m’était devenue insupportable, voir mon pays torturé par les hommes, voir mes proches décimés par les armes. Au nom de quoi, au nom de qui ? Une idéologie, un Dieu paraît-il … Mais rien ni personne ne vaut d’abattre les mitraillettes sur mon peuple. Aucun Dieu ne donne ordre de faire couler le sang en son nom.
J’ai quitté mon pays et j’ai peur et j’ai froid. Et ce froid ne se concentre pas uniquement sur les parties de mon corps meurtri, j’ai froid en dedans, j’ai l’âme en peine. Je m’appelle Assâad, amusant non ? S’appeler « le plus heureux » et être un miséreux.
Les passeurs m’ont demandé plus d’argent que je n’en avais. A mon grand étonnement malgré la misère, la solidarité existe encore, ma famille, mes amis, tous m’ont aidés. Je me suis engagé à leur rendre le double. Il faut que je tienne … La terre promise est au bout de l’enfer.
Je suis d’abord monté à bord d’un bateau de fortune, nous étions entassés les uns sur les autres. En pleine nuit j’entendais ce bébé qui pleurait, il avait faim, il avait froid. Sa mère tentait de le calmer. Il pleurait encore plus, toujours plus jusqu’à n’en plus pouvoir. La nuit s’était posée sur ce petit être. Qu’Allah l’accueille en son vaste paradis. Sur mille passagers, peu d’entre nous ont vu la côte, peu d’entre nous ont foulé le sol. Après des jours et des semaines à marcher, à me cacher, à pleurer aussi, j’ai enfin atteint cet endroit au Nord de la France. Cet endroit que l’on appelle la jungle. Je me suis alors dit que j’avais quitté la misère pour la misère, la guerre pour la haine. Je ne peux pas rester là, je ne peux pas. La terre promise est au bout de l’enfer.
15 octobre 2016, ou peut-être le 16 ou le 20 - ici dans cet endroit inhumain j’ai perdu la notion du temps - je saisis ma chance. J’ai repéré un camion en partance pour la terre promise. C’est un parcours du combattant mais j’ai foi en Dieu. Je me faufile juste derrière, le conducteur s’est assoupi. Par je ne sais plus quel moyen, il faut user de ruse dans ces moments-là, j’ai réussi à pénétrer dans le camion. Vite vite, je me cache dans le double fond du plancher. J’ai froid, j’ai peur, j’étouffe, je m’endors d’épuisement.
Quand j’ouvre enfin les yeux, le camion ne bouge plus. Sommes-nous toujours à Calais ? Suis-je mort ? Le froid me saisit les membres… Je vis, je vis ! Oui mais où ?
Je tends l’oreille, je n’entends rien. Je me risque à ouvrir ma cachette. Je tends l’oreille, je n’entends rien. C’est maintenant ou jamais ! Je me hâte, je sors du camion. Où suis-je ? Je ne reconnais rien. Les maisons sont si grandes, les façades colorées. Mon cœur se réchauffe, les souvenirs de mon pays avant la guerre me reviennent à l’esprit. Toutes ces couleurs, ces magnifiques couleurs comme les rues de Palmyre, comme les rues d’Alep. Je voyageais beaucoup, avant la guerre.
J’ai froid, j’ai peur mais je marche dans cette rue colorée. Et soudain je comprends … je suis en vie, je respire, j’y suis arrivé … Je m’appelle Assâad – « le plus heureux » – et je suis arrivé en Terre promise.
© Amandine - L'ivresse littéraire
Texte très dur mais si bien écrit. On ressent bien toutes les émotions d'Assâad.
RépondreSupprimerJe vois que l'actualité a tendance à miner nos textes mais ta conclusion offre de l'espoir.
Bonne journée !
Oui les médias ont tendance à plomber le moral et pourtant je travaille au sein de l'un d'entre eux. Et puis la jungle j'en entendais parler tous les jours alors j'avais envie d'apporter un peu d'espoir dans cette fatalité.
SupprimerMerci en tout cas, des bises.
Oufff… Ce texte est poignant…Superbe aussi ! Une histoire racontée sans effet mélodramatique mais comme un témoignage de la dure réalité de l’immigration…avec l’espoir à la fin. Merci !
RépondreSupprimerJos
Merci Jos, c'est exactement ce que je souhaitais, apporter une lueur d'espoir dans cette triste réalité.
SupprimerMerci pour ta visite. Belle soirée
Ce que j'ai beaucoup apprécié dans ton texte c'est qu'il est sans pathos sur un sujet d'actualité grave. Et du coup il me touche presque plus que quand c'est larmoyant à mourir ! Tu sais résumer avec des mots justes ce dur combat des migrants, la mort aussi souvent et surtout l'espoir pour certains d'entre eux ! Pour tout cela, bravo ! Nady
RépondreSupprimerMerci Nady, que de compliments ça me va droit au cœur.
SupprimerBises, belle soirée
On aimerait que chaque histoire de migrant se termine comme celle de Assâad. Merci pour ce texte plein d'espoir,
RépondreSupprimerEffectivement on aimerait voir que chaque être humain trouve sa place ici ou ailleurs et encore plus ailleurs lorsque son pays brûle sous les feux des combats, de la haine, de la folie.
SupprimerJ'adore, très touchée par ton texte, plein de sensibilité et d'espoir.
RépondreSupprimerL'espoir nous donne la force de poursuivre. Merci Valérie
SupprimerEt encore tant de défi à relever, une vie à recommencer.
RépondreSupprimerExactement Pierre, une revanche sur la vie est prise mais il y a encore tant à parcourir.
SupprimerMerci d'être passé et m'avoir lu.
J'ai senti beaucoup de générosité dans ton texte, c'est tellement plus riche que le mot "migrant" rabâche par les médias. Tu nous rappelles avec talent que c'est d'hommes et de parcours de vie qu'il s'agit. merci.
RépondreSupprimerIl ne faut effectivement pas oublier que ce sont des Hommes avant tout. Merci Adèle pour ta visite et pour ces compliments.
SupprimerJ'ai retenu mon souffle jusqu'à la fin.....Et pourtant les maisons londoniennes me laissaient espérer une fin heureuse...ça fait du bien d'imaginer parfois qu'une vie va être possible autre part loin de la guerre et de l'errance....
RépondreSupprimerMerci d'être venue me lire Bénédicte. Effectivement il est parfois bon d'imaginer que le bonheur peut être au bout de l'enfer.
SupprimerTexte ô combien d'actualité, mais tellement universel, malheureusement. Je crois que tu as su retranscrire cette atemporalité. Bravo pour eux.
RépondreSupprimerMerci ma chère :-) j'avais vraiment envie de penser à eux. Déjà avec la piscine désaffectée et puis ça ne venait pas alors quand j'ai vu ces maisons je n'ai pas hésité un instant.
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