Vie de ma voisine de Geneviève Brisac : un bouleversant témoignage de vie

Geneviève Brisac
Paru chez Grasset en janvier 2017
180 pages

Dans ce roman biographique, Geneviève Brisac prête sa voix à Eugénie Plocki, dit Jenny, sa voisine. 
C’est en échangeant avec elle autour de Charlotte Delbo, de leur amour des livres et du théâtre, que Jenny va peu à peu se confier à l’auteure.


« Il fallait aller au commissariat chercher ça, dit Jenny en tirant son étoile d’un placard. En la posant sur la table.
Dans ses gestes retenus et violents à la fois, mille choses se lisent, la rage rentrée, le dégoût, une stupeur jamais digérée, le sentiment d’exhiber la preuve absolue. La preuve que cela a été possible, que cela a été vrai. Que cela a eu lieu. Réellement. »

Née en 1925 en France, de parents Polonais, Juifs et athées, membres du Bund (l’Union générale des travailleurs Juifs) Jenny a échappé aux camps lorsqu’en juillet 1942, elle et son frère, français puisque nés en France et ses parents sont arrêtés par la police, par leur voisin même, feignant de les connaître. Entassés dans ce lieu des centaines de juifs attendent de connaître leur destinée. Le verdict tombe, les juifs français peuvent partir, les autres resteront. Rivka et Nuchim Plocki, les parents de Jenny décident alors de laisser partir leurs deux enfants pour leur permettre de vivre et d'espérer. Rivka va alors transmettre tout son savoir à sa Jenny. De la tenue d’une maison, aux relations amoureuses. L’essentiel de ce qu’il faut savoir en deux heures. Ils leur sauvent la vie. 
Jenny ne reverra jamais ses parents.

Geneviève Brisac

A travers ce bouleversant roman, Geneviève Brisac rapporte ses échanges avec Jenny, une force de la nature, une femme engagée politiquement qui n’a jamais renié ni ses origines, ni ses convictions. 
Les « je » de l’auteure et de Jenny se confondent en une seule voix, celle du présent et celle du passé. Vie de ma voisine est la traversée du siècle à travers les yeux d’une enfant, les souvenirs d’une vieille dame remplie de vie et d’espoir. De leur arrivée en France, à la montée de l’extrémisme, de leur voyage en Pologne durant l’occupation en passant par la déportation de ses parents, la faim, la misère de deux enfants livrés à eux même. Puis l’après-guerre, Mai 68 et les commémorations, rien n’est laissé au hasard. Tout est inscrit, avec précision et émotion. Emotion qui nous submerge à chaque page grâce à une écriture qui se fait vive, concise, comme pour appuyer sur ces souvenirs qui pourraient à tout moment disparaître.
Et je pourrais vous faire part de nombre de souvenirs dépeints car ils sont ancrés en moi mais ils sont tous aussi précieux les uns que les autres. Sélectionner une période plutôt qu’une autre ne serait pas rendre grâce à cet ouvrage nécessaire. 

Geneviève Brisac


Ainsi la plume de Geneviève Brisac se fait l’écho d’une vie mais aussi d’un témoignage collectif.
Elle dresse le portrait d’une femme rayonnante qui ne manifeste aucune haine ni aucune rancœur et qui aura toute sa vie avancé en écoutant son cœur, qui aura vécu pour transmettre aux autres sans jamais renoncer à ses idéaux.
Ce livre est un double hommage vibrant : celui d’une femme à sa famille, à une mère déterminée, éprise de liberté, à un père aimant, aux convictions fortes. Et celui d’une voisine à une femme admirable devenue une amie et qui brille par son courage. 

En refermant ce témoignage d’une vie, je n’ai pu m’empêcher de penser à mes grands-parents qui ont connu cette guerre, l’ont vécue et n’en ont jamais parlé. J’ai repensé à mon voyage à Prague, au cimetière historique, à la synagogue Pinkas qui abrite un mémorial emprunt du drame de l’Holocauste où chaque mur est recouvert des noms des juifs exterminés. 
En refermant ce livre, je n’ai pu m’empêcher de penser à toutes ces guerres qui ont suivi, Indochine, Algérie, Viêt Nam … et celles qui se poursuivent aujourd’hui et qui nous font penser que l’Homme jamais n’apprend de ses horreurs.

Geneviève Brisac

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