Hiver à Sokcho de Elisa Shua Dusapin : une plume délicate pour un roman intimiste

Elisa Shua Dusapin
Paru aux éditions ZOE en août 2016
144 pages


Vous l’avez sûrement remarqué mais l’hiver est là, avec son froid bien ressenti par endroit. Et là vous vous dites « mais pourquoi elle parle du temps et de l’hiver ? » et bien tout simplement parce qu’Hiver à Sokcho est le parfait roman pour un après-midi sous un plaid avec un thé de Noël.  


En quelques mots

« Sa valise à mes pieds, il a retiré son bonnet. Visage occidental. Yeux sombres. Cheveux peignés sur le côté. Son regard m’a traversée sans me voir. L’air ennuyé, il a demandé en anglais s’il pouvait rester quelques jours, le temps de trouver autre chose. Je lui ai donné un formulaire. Il m’a tendu son passeport pour que je le remplisse moi-même. Yan Kerrand, 1968, de Granville. Un Français. Il avait l’air plus jeune sur la photo, le visage moins creux. Je lui ai désigné mon crayon pour qu’il signe, il a sorti une plume de son manteau. »

Un auteur français de bande dessinée se rend à Sokcho, petite ville portuaire proche de la Corée du Nord, afin d’y trouver l’inspiration. Il s’installe dans une auberge où il va rencontrer une jeune franco-coréenne qui est un peu la femme à tout faire de ce lieu.
L’hiver gèle toutes les activités de la ville, tout fonctionne au ralenti, même les sentiments. Cette rencontre entraînera-t-elle une relation ? Ces deux personnes seront-elles capables de communiquer ensemble ?

Mon avis

Quand une jeune coréenne rencontre un français Normand, le choc des cultures est immédiat. Très rapidement, cette jeune femme va être troublée par la présence de cet inconnu, par ce mystère qui le compose. En couple avec Junh-Oh un mannequin coréen, elle va peu à peu s’éloigner de lui au profit de cet auteur français. Pas après pas, ces deux cultures vont tenter de s’apprivoiser malgré le regard quelque peu réprobateur d’une mère aux coutumes bien ancrées dans le paysage asiatique.

« Le lendemain je suis allée marcher sur la plage qui longeait Sokcho. J'aimais ce littoral, même griffé par les barbelés électrifiés. La Corée du Nord n'était qu'à soixante kilomètres, au nord. »

Elisa Shua Dusapin nous livre ici un roman empli de délicatesse et de poésie à travers deux personnages dotés d’une extrême pudeur. Et c’est ce qui est beau dans ce récit : cette pudeur, cette atmosphère intimiste et hivernale qui à mon sens offre toute la beauté de ce roman qui a reçu le très célèbre prix Robert Walser.

Dans ce récit, pas un mot plus haut que l’autre, tout est dans la finesse. On imagine l’auteure posait délicatement chaque mot, chaque virgule, chaque phrase sur le papier. Tout est d’une rondeur incroyable. Elle parle d’amour sans réellement le définir, elle exprime les sentiments de cette jeune coréenne sans vraiment les nommer. Et malgré la retenue, ce roman n’est pas dénué d’un certain érotisme qui est subtilement suggéré.  

« De l'autre côté du mur, la main était lente. Pavane de feuilles mortes dans le vent. Nulle violence dans ce bruit. De la tristesse. De la mélancolie plutôt. La femme devait se lover au creux de sa paume, s'enrouler autour de ses doigts, lécher le papier. Toute la nuit je l'ai entendue. Toute la nuit j'aurais voulu tirer sur mes joues pour couvrir mes oreilles. Le supplice n'a cessé qu'au petit matin, lorsqu'enfin la plume s'est tue, épuisée je me suis endormie. »

Lire Hiver à Sokcho c’est ainsi s’envelopper dans un cocon de douceur. C’est aussi observer deux êtres sur deux rives opposés tentant de construire un pont pour se rapprocher l’un de l’autre. C’est également un roman sur l’émancipation d’une jeune femme et la recherche d’une âme pour se réchauffer. Mais c’est aussi se rendre compte qu’il n’y a pas toujours besoin de grand discours pour s’exprimer juste qu’il est parfois dommage de ne pas oser se livrer davantage.

En somme, un roman à lire par petits bouts pour en apprécier toute la force et la beauté. Mention spéciale pour la couverture toute douce à l’image des 144 pages qui suivent.

Commentaires

  1. Une chronique toute douce pour un roman qui promet de faire passer un bon moment de lecture. Merci pour cette découverte :)

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    1. Merci Emma. C'est le moment parfait pour lire ce roman, si tu as l'occasion fonce :) Je serai intéressée d'avoir ton ressenti d'ailleurs.

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  2. Je l'avais lu en avant-première pour sa sortie et je l'avais tellement adoré ! Tout en poésie et en érotisme, tu as tout dit !

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