The Girls d’Emma Cline : la descente aux enfers d’une poupée Californienne

Paru aux éditions de La table ronde le 25 août 2016
Collection Quai Voltaire - 336 pages

Un roman qui rencontre un franc succès depuis sa sortie et c'est un succès bien mérité. Avec The Girls on plonge dans la spirale infernale de l’influence d’un groupe, d’un homme, d’une jeune fille sur une adolescente.


En quelques mots

« Je levai les yeux à cause du rire, et je continuai à regarder à cause des filles.
Je remarquai leurs cheveux tout d’abord, longs et pas coiffés. Puis leurs bijoux qui captaient l’éclat du soleil. Toutes les trois étaient trop loin, je ne voyais que les contours de leurs traits, mais ça n’avait pas d’importance : je savais qu’elles étaient différentes de toutes les autres personnes dans le parc. »

Evie a quatorze ans, issue d’une famille de la classe moyenne et dont les parents viennent de divorcer. Un peu paumée, Evie se sent délaissée, elle a l’impression de n’intéresser personne et encore moins les garçons. Alors lorsqu’elle rencontrera ce groupe de fille - aux cheveux long et à la peau dorée - dans un parc, elle n’aura qu’une envie : les approcher et surtout capter l’attention de Suzanne qui dégage une aura mystérieuse et puissante à ses yeux. 
Ces poupées de chiffons vivent dans un ranch, en communauté, autour d’un homme appelé Russell. Pour nourrir tout ce bon monde, les filles volent dans les magasins mais aussi les cartes de crédits, elles pillent les poubelles pour quelques denrées. Elles sont libres …

Pour se faire remarquer et accepter, Evie est prête à tout : voler, ramener de l’argent. Tout est bon pour vivre au sein de cette communauté où l’amour de chacun et surtout l’amour de l’autre est mis au centre des préoccupations; un amour si inconditionnel que toutes les filles du ranch couchent avec le grand chef de cette meute. Mais Evie ce qu’elle veut avant tout c’est le regard de Suzanne. Et cette dernière l’a bien compris et a bien l’intention d’en profiter, sciemment ou non.

The girls c’est le récit de cet été 1969, d’une jeune adolescente qui par amour, par envie et besoin d’exister va connaître l’enfer de la secte Manson.


Mon avis


Si l’histoire de la secte Manson n’est qu’un prétexte pour conter le récit d’Evie et qu’elle est romancée, il n’en reste pas moins que cela fait froid dans le dos. Emma Cline réussit parfaitement à retranscrire la manipulation par les sentiments, et c’est impressionnant lorsque l’on sait que l’auteure n’a que vingt-sept ans. Ici pas d’analyse psychologique sur la secte à proprement parler, juste une toile dressée comme peinte au fusain sur les émotions profondes qui peut habiter chacune d’entre nous à une période de notre vie. Je dis chacune car c’est un roman résolument féministe tant par son approche que par l’éventail des messages délivrés. 
Ainsi l’auteure met en avant la force qui habite ces filles lorsqu’elles sont ensemble, leur beauté aussi et leur arrogance comme-ci, ensemble rien ne pouvait les atteindre. Mais le tableau s’assombrit davantage lorsqu’Emma Cline dévoile l’influence et la violence des hommes à leurs égards.

« Mais nous avions d'autres choses en commun, Suzanne et moi, une faim particulière. Par moments, j'avais tellement envie qu'on me touche que j'étais écorchée par le désir. Je voyais la même chose chez Suzanne: elle retrouvait son énergie, tel un animal qui sent la nourriture, chaque fois que Russell approchait. »

On peut parfois se sentir un peu perdu dans cette lecture car le roman oscille entre les souvenirs d’Evie en 1969 et l’après secte mais ces deux temps ne donnent que plus de force au récit pour ainsi comprendre toutes les séquelles qui en découlera. Et rien n’est laissé au hasard, tout est méticuleusement décrit avec audace et puissance. Sans détour, sans tabou, l’auteure décrit toute la complexité des relations humaines et de la construction de soi : tout ne tient qu’à un fil, à un choix qui semble anodin mais qui peut avoir des conséquences irréversibles.

Ce fut pour moi un roman addictif, j’avais envie de comprendre les mécanismes qui s’opéraient sur Evie, j’avais envie de connaître ce qui l’attirait tant chez Suzanne. Etait-ce de l’amour ? De l’admiration ? Ou encore, une certaine jalousie de voir cette fille sans complexe être libre de tout ? 
Sans compter l’écriture bluffante de l’auteure qui joue un rôle extrêmement important pour insuffler la puissance à ce roman et en faire un véritable coup de poing. Emma Cline utilise une poésie glauque qui me rappelle celle de Sacha Sperling et qui forcément n’a pu que me plaire. Sa plume est ciselée, crue et imagée. Le lecteur n’a aucun mal à se projeter dans les tourments qui habitent les personnages, qui les détruisent autant qu’ils les construisent.

« Elle était perdue dans cette certitude profonde que rien n'existait en dehors de sa propre expérience. Comme si les choses ne pouvaient aller que dans un seul sens, et les années vous entrainaient dans un couloir jusqu'à la pièce où attendait votre personnalité inévitable, embryonnaire, prête à être dévoilée. Quelle tristesse de découvrir que parfois vous n'atteigniez jamais cet endroit. Que parfois vous passiez votre vie entière à déraper à la surface, tandis que les années s'écoulaient, misérables. »


Emma Cline nous livre un premier roman intense et me fait dire que nous n’avons pas fini d’entendre parler d’elle. Une lecture que je vous conseille grandement.

Commentaires

  1. Une bien belle chronique pour un livre qui le mérite très certainement. Il est en haut de ma pile.

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    1. Et j'espère que tu l'apprécieras autant que moi. Le tout est saisissant, j'ai vraiment hâte d'avoir ton ressenti.

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  2. Je n'étais a priori pas du tout tentée par le sujet. Pourtant, à force de lire des avis tels que le tien, ma curiosité finit par être piquée... Une lecture à venir ? Peut-être !

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    1. Le sujet me dérangeait un peu aussi mais on se rend bien compte que la secte Manson n'est pas le sujet principal du roman et c'est tant mieux. En tout cas c'est un excellent premier roman vraiment.

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  3. quelle belle chronique ! je n'en suis qu'au début, mais ce roman me fascine déjà et je trouve en effet l'écriture splendide

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    1. Merci beaucoup Christelle :) Tu verras, tu vas devenir addict, il est vraiment fascinant à la fois par l'écriture, par la narration et par l'histoire elle-même. Bonne lecture

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  4. Je l'ai en VO, il faut que je m'y mette, dès que j'aurai un moment plus serein. A mon avis, ça demande un peu de concentration, surtout en VO.

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    1. Déjà en VF il demande un peu de concentration, je n'imagine pas en VO ^^
      Bonne lecture

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